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Le Monde : France-Vietnam : N’oublions pas les libertés des citoyens vietnamiens

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A l’occasion de la venue en France du Premier Ministre vietnamien Nguyen Tan Dung en vue de l’établissement d’un partenariat stratégique entre la France et le Vietnam, le Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme a voulu rappeler la situation déplorable des libertés au Vietnam avec l’article ci-dessous (publié sur le site du journal Le Monde le 24 septembre dernier). Alors que Nguyen Tan Dung rencontrait le Président de la République François Hollande et le Président du Sénat Jean-Pierre Bel, ce mercredi 25 septembre, l’on apprenait que les autorités vietnamiennes procédaient ce même jour à l’arrestation de trois nouveaux blogueurs.

Partenariat France-Vietnam : N'oublions pas les libertés des citoyens vietnamiens par Vo Van Ai - Le Monde, 24 septembre 2013

Partenariat France-Vietnam :
N’oublions pas les libertés des citoyens vietnamiens

 

Le Monde.fr | 24.09.2013 à 18h04 – Mis à jour le 24.09.2013 à 18h33
Par Vo Van Ai (président du Comité Vietnam pour la défense des droits de l’Homme)

Un cybercafé à Hanoï. | Tran Van Minh/APUn cybercafé à Hanoï. | Tran Van Minh/AP

 
Le premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung doit se rendre en visite officielle à Paris ce 24 septembre. Il a été invité par le gouvernement français qui envisage un partenariat stratégique avec le Vietnam pour cette année 2013-2014 proclamée “année France-Vietnam” à l’occasion du 40e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. En dehors des liens historiques, économiques et affectifs entre les deux pays, ce mariage ressemble un peu à celui de la belle et de la bête, celui de la “patrie des droits de l’homme” et du fossoyeur des libertés.

Cette visite intervient en effet au moment où le Vietnam, pourtant prêt à entrer au conseil des droits de l’homme de l’ONU dès l’an prochain, intensifie sa répression contre les blogueurs et cyberdissidents, les militants pro-démocratie, les défenseurs des droits de l’homme et les dissidents politiques et religieux. Le régime vietnamien souffre de cette schizophrénie depuis l’ouverture de l’économie avec le “Doi Moi”, du nom de la politique de réforme économique lancée en 1986 : il faut plaire à une communauté internationale attachée aux droits de l’homme (pour attirer les capitaux et les aides) tout en réprimant la population (pour ne pas perdre le pouvoir).

31 MILLIONS D’INTERNAUTES

La liberté d’expression sur Internet est sa bête noire. Hanoi vient d’adopter un décret, le 72/2013/ND-CP entré en vigueur le 1er septembre, qui pénalise systématiquement ceux qui s’expriment en son nom. Le Vietnam a en effet beaucoup misé sur le Web pour son développement économique au point dedevenir en quelques années l’un des pays les plus connectés de l’Asie du Sud-Est. Le résultat est là : depuis l’an 2000, le nombre d’internautes vietnamiens a été multiplié par 15, atteignant 31 millions d’usagers, soit un tiers de la population. Si l’accès à Internet n’était autrefois possible qu’à partir des cybercafés, il a maintenant envahi les foyers notamment par le biais des téléphones portables (130 millions pour une population de 90 millions de personnes).

Cet essor formidable d’Internet a réveillé la soif de la population pour l’information, les échanges et la participation aux affaires du pays. Les blogs et microblogs ont éclos par millions pour contourner l’information partiale d’une presse officielle aux ordres et palier l’inaction des associations d’Etat et autres organisations inféodées au parti unique. Un embryon de presse libre est né avec ces blogs. Les plus représentatifs sont sans doute les blogs Bauxite, VN et Dan Lam Bao (“journalisme fait par les citoyens”).

Parallèlement, la population a pu se mobiliser sur les problèmes qui la préoccupaient. Il y a eu la question des paysans expulsés de leurs terres, la corruption des cadres, les dangers de l’exploitation par la Chine de la bauxite sur les hauts-plateaux. Il y a eu surtout le mécontentement du peuple face à la faiblesse du gouvernement dans le litige avec la Chine sur les îles de la mer de Chine méridionale. Entre juin et août 2011, grâce aux SMS et à Facebook, des manifestations ont été organisées tous les dimanches à Hanoi et Ho Chi Minh Ville pour protester contre le gouvernement et la Chine. Ces manifestations ont été réprimées.

HARCÈLEMENTS ET VIOLENCES

Pays d’Asie du Sud-Est parmi les plus connectés, le Vietnam reste l’un des pires violateurs de la liberté d’expression. Percevant dès l’origine internet comme une menace, il s’est attelé à contrer ses “effets négatifs”, c’est-à-dire la liberté qu’il pourrait instiller à la population. “Avec le boom de l’internet, la liberté d’expression et la liberté de la presse deviennent un problème global” pouvait-on lire tout récemment dans la presse officielle.

L’explosion de la parole sur internet a cependant pris au dépourvu les autorités vietnamiennes qui ont répliqué par la répression contre les blogueurs et les cyberdissidents : harcèlements, agression par des voyous au service de la police, internement en hôpital psychiatrique, violences policières, y compris agressions sexuelles, arrestations et détentions arbitraires. Et procès iniques avec à la clé de lourdes peines d’emprisonnement.

En fait, le Vietnam est en train de commettre la pire des répressions contre les militants pro-démocratie et les blogueurs. Pour la seule année 2013, 49 dissidents ont déjà été emprisonnés ! Avec cynisme, le gouvernement de Nguyen Tan Dung couvre tout cela d’un vernis de légalité avec un arsenal de lois scélérates, dont le décret 72 n’est que le dernier exemple.

“SÉCURITÉ NATIONALE”, UNE NOTION FOURRE-TOUT

Le Vietnam avait imposé le strict contrôle des usagers par les propriétaires de cybercafés ainsi que l’installation de logiciels espions sur leurs ordinateurs. Il a créé une cyberpolice pour chasser les “informations interdites”. Il a imposé aux internautes la responsabilité pénale de ce qu’ils font sur le Web mais aussi des messages qu’ils reçoivent. Parallèlement, le régime a procédé à des attaques contre des sites d’opposition à l’étranger et à l’infection de milliers d’ordinateurs par des logiciels espions. Des concurrents locaux de Facebook ou Twitter ont été créés pour contrôler les internautes, où il faut donner sa véritable identité pour pouvoir s’inscrire.

Quant au décret 72, il interdit un si large éventail de comportements qu’on ne sait pas ce que l’on a le droit de faire. Il oblige les fournisseurs étrangers de services internet à fournir des informations sur leurs usagers au Vietnam. Il interdit aussi aux internautes de parler d’actualité sur leurs blogs, sites personnels ou réseaux sociaux. Seules les informations “personnelles” sont tolérées. Le régime a expliqué benoîtement que c’était pour protéger le copyright…

A côté de toutes ces mesures spécifiques, le Vietnam jouit d’un réservoir de textes anti-liberté d’expression de droit commun. En premier lieu, les dispositions du code pénal sur la notion fourre-tout de “sécurité nationale” que l’ONU a dénoncé de longue date, sans effet.

DES REPORTERS TROP CURIEUX ARRÊTÉS

Ceux qui communiquent avec l’étranger peuvent être poursuivis pour “espionnage” (article 80 du code pénal). L’article 88 sur la “propagande anti-socialiste” passible de 3 à 20 années de prison est aussi utilisé massivement pour réprimer la moindre critique. L’un des plus kafkaïens reste l’article 258 portant sur l’“abus des libertés démocratiques pour nuire aux intérêts de l’Etat” qui prévoit des peines allant jusqu’à 7 ans de prison.

Tous ces textes créent un climat de terreur et mènent à l’autocensure, forme la plus aboutie de censure. Les journalistes doivent payer des dommages-intérêts aux personnes qu’ils mettent en cause dans leurs articles. Les reporters trop curieux sont arrêtés comme Vo Thanh Tung et ses collaborateurs en août dernier, ou Nguyen Van Khuong, arrêté en 2012. Tous écrivaient sur la corruption de la police et ont été poursuivis pour… corruption.

La répression contre la liberté d’expression et de la presse n’est que la partie visible de l’iceberg. En réalité toute la société vietnamienne est réprimée : il y a les paysans arbitrairement expulsés de leurs terres, les minorités ethniques (montagnards, hmong, khmers krom, etc.) et les religions “non reconnues” (bouddhiste, catholique, cao dai, bouddhiste hoa hao et protestantes) qui subissent continuellement harcèlements, violences, arrestations et détentions arbitraires. Depuis 2003, Thich Quang Do, chef de l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam de 86 ans, est détenu dans une pagode-prison sans aucune justification. Mais de cela, il ne sera peut-être pas question à Matignon.

Vo Van Ai
Président du Comité Vietnam pour la Défense des Droits de l’Homme

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